Les Religieuses de Shaolin
« Même le voyage le plus long commence par le premier pas », c’est une phrase que j’ai souvent entendue mais, face à cet escalier en pierre qui semble se perdre quelque part dans les nuages, elle prend une toute autre signification. Je me trouve en plein milieu des montagnes Song Shan dans la province chinoise Henan. Les montagnes se dressent autour de moi tel des gardes silencieux ayant déjà observé d’innombrables fois cette expression interrogatrice sur le visage des gens qui, comme moi, voient pour la première fois cet escalier sculpté dans la pierre. Je pense que, s’ils pouvaient rompre leur silence, ils auraient également plein de questions à me poser. L'escalier qui se trouve en face de moi mène directement au couvent des religieuses de Shaolin et des «yeux ronds » comme moi, masculin en plus, ne s’égarent que rarement par ici. Ce ne sont la plupart du temps que des femmes chinoises désirant trouver la félicité comme religieuses à Shaolin qui empruntent ce chemin. Mais, procédons dans l’ordre.
Les dernières années, je me suis rendu en Chine de maintes fois en visitant presque chaque fois le monastère Shaolin, ce monastère célèbre, construit il y a plus de 1500 ans et qui a connu depuis une histoire très mouvementée. Les moines, qui y prient et méditent, sont toujours au centre de l’intérêt. Ce sont eux aussi qui sont devenus, au cours de nombreuses générations, de grands maîtres de kung-fu, ce qui a finalement fondé leur légendaire réputation dans le monde entier.
Dans l’ombre des célèbres frères

Le monastère Shaolin est également le lieu d’origine du bouddhisme Chan, qui est très répandu en Chine. C’est la raison pour laquelle il n’y a pas que des hommes qui prient et méditent, mais également des femmes. Cependant, le couvent des femmes, qui est situé, à quelques kilomètres seulement du monastère Shaolin, dans les montagnes de Song Shan, est depuis toujours dans l’ombre des célèbres frères, ce qui fait qu’il n’y a que très peu de gens qui s’y égarent. Ceci était aussi vrai pour moi jusqu’aujourd’hui puisque je me suis, comme je l’ai déjà dit, souvent rendu à Shaolin sans jamais visiter le couvent des femmes.
«Echelle du ciel»

Le chemin jusqu’ici était pénible au début et ce n’était que peu à peu que se perdait le tohu-bohu autour du célèbre monastère Shaolin. Ensemble avec mon ami chinois Yuan Yongjun, qui m’épaule aussi en tant que traducteur, je plonge bientôt dans un paysage très idyllique. Ainsi, nous passons à côté de rizières sur lesquelles quelques paysans accomplissent leur tâche quotidienne en silence. De temps en temps seulement, le calme est interrompu par le grésillement des grillons ou bien le chant d’un oiseau.

Oui, et maintenant nous nous retrouvons tout à coup face à cet escalier en pierre qui semble ne jamais finir. Mon regard interrogateur doit en dire long puisque Yuan montre en haut en souriant. C’est exactement là qu’il faudra monter si on veut visiter le couvent des femmes.
L’ Empire du Milieu m’a déjà réservé des surprises plus d’une fois, mais je n’ai encore jamais vu une telle « échelle du ciel ». Toujours surpris, je pose mon pied sur la première marche. Je n’ai pas le choix, après tout. Je veux voir le temple Chu Zu dans lequel se trouve le couvent des femmes de Shaolin, et le seul chemin qui y mène passe par ce sentier pierreux.
Je mets les pieds dans le plat sans m’en rendre compte
Après avoir laissé derrière nous d’innombrables marches, on arrive au temple 20 minutes plus tard. On pénètre la cour intérieure du couvent par le grand portail. On aperçoit une religieuse qui est assise devant le hall principal, plongée dans un livre. Yuan m’apprend qu’elle est occupée à faire des Sutren. Quand elle nous aperçoit, elle sourit aimablement et vient à notre rencontre. On lui explique qu’on aimerait parler à l’abbesse du couvent des femmes, sur quoi elle nous montre le chemin qui mène au domaine privé du couvent, au fond de l'établissement.

Un grand panneau « Domaine privé - Interdiction d’entrer » nous fait vite nous arrêter. Nous demandons aimablement à une autre religieuse de nous indiquer où trouver l’abbesse. La réponse est aimable mais ferme : « Ici c’est un domaine absolument privé. Les étrangers n’ont pas le droit d’y entrer. Il n’y a que les parents et les personnes de la connaissance de l’abbesse qui puissent entrer, avec une permission spéciale, dans cette partie du couvent ».

Mais quand nous expliquons à la religieuse que je viens d’Europe et que j’aimerais faire une interview avec l’abbesse, elle nous dit d’attendre pendant qu’elle en informe l’abbesse.

Le soleil se montre sous son meilleur jour et envoie ses rayons impitoyablement sur les montagnes du Song Shan, ce qui fait que nous nous asseyons, après quelques minutes d’attente, sur un seuil dans l’ombre du hall principal. Quand la religieuse revient peu après, elle nous jette un regard furieux et dit quelques mots déterminants à mon compagnon chinois.

Quand je lui demande la raison de la morosité subite de la religieuse, Yuan me dit que nous nous sommes assis sur le seuil d’une pièce dans laquelle se trouve une figure du Boddhitsawa de la miséricorde et que nous lui avons tourné le dos sans le savoir, ce qui fâche beaucoup la religieuse, puisque notre façon de faire présume un manque de respect envers ce saint.
Des regards examinateurs

« Et bien, c’est la première fois qu’on met les pieds dans le plat » dis-je à Yuan, mais à peine que j’ai prononcé ces mots, j’aperçois une femme qui nous jette des regards examinateurs Shi Yong Mei, l’abbesse du couvent de femmes de Shaolin.

Bien que cette femme ait l’air très sévère à cause de sa tête rasée et bien qu’elle nous regarde très instamment, le rayonnement de cette femme, âgée d’environ 45 ans, est très courtoise et aimable. Elle nous prie de l’accompagner sur une place où se trouvent une table et plusieurs chaises. Après que nous ayions pris place et que nous nous soyons présentés, elle regarde mon bracelet bouddhiste en perles de bois de santal, qu’un moine Shaolin m’a offert il y a des années, et que je porte depuis comme talisman. L’abbesse me jette un regard interrogateur. Elle demande à Yuan si je crois au bouddhisme.

Quitter la roue de la vie

Ceinture Noire : Combien de femmes vivent ici au couvent?
Shi Yong Mei : En tout il y a environ 20 femmes de tous les âges.

Ceinture Noire : Combien de temps vivent les religieuses ici ?
Shi Yong Mei : En règle générale toute une vie.

Ceinture Noire : Y a-t-il des exigences particulières qu’une religieuse doit pour pouvoir vivre ici ?
Shi Yong Mei : Tout d’abord, elles doivent être en bonne santé, ensuite il faut qu’elles soient âgées entre 18 et 25 ans et avoir leur bac. Les mineures ont besoin de la permission des parents. En outre, toutes les religieuses doivent fréquenter une école supérieure bouddhiste, c’est stipulé par l’état. (Note de l’auteur c’est motivé par son importance pour l’évolution du bouddhisme en Chine.) Quand une fille a pris la décision de vivre au couvent, et qu’elle n’a pas fréquenté d’école supérieure auparavant, elle peut aussi le rattraper plus tard. Nombreuses sont celles aussi, qui ont la possibilité de vivre au couvent pour trois ou quatre ans avant de se décider.
Ceinture Noire : Qu’est-ce qui pousse une femme à tout laisser derrière soi pour vivre ici comme religieuse Shaolin ?
Shi Yong Mei : Quelques femmes exemple vécu une grande déception, à la suite de laquelle elles choisissent la vie au couvent afin d’y plonger plus dément dans la doctrine bouddhiste. Ceci a la plupart du temps le but de quitter ainsi « la roue de la vie ». Pour comprendre ceci, il est nécessaire de connaître les théories bouddhistes au centre desquelles se trouve en règle générale la réincarnation. Les religieuses ici ne désirent pas être réincarnées. Elles veulent vivre en paix, connaître la paix intérieure et aider les autres, comme le prescrit le bouddhisme. Par ce moyen, elles espèrent trouver la félicité.

Santé, force et une longue vie

Ceinture noire : A quoi ressemble une journée normale au couvent ?
Shi Yong Mei : On se lève à 3h30 et à 4h commencent les cours de bouddhisme. En même temps, quelques religieuses préparent le petit déjeuner. Après le petit déjeuner, le couvent est nettoyé. Si quelqu’un des environs participe à la messe, on célèbre pour ces gens une messe au temple. Sinon, la journée continue par du jardinage ou d’autres travaux. Vers 17h, le couvent ferme. Ensuite il y a encore des cours.

Ceinture Noire :
Y a-t-il également des cours d’une gymnastique de santé particulière, semblable au Tai Chi?
Shi Yong Mei : Le Tai Chi matinal fait partie vie au même titre que la prière matinale, mais quelques religieuses s’occupent aussi régulièrement avec des exercices spéciaux de Yijinjing, une gymnastique de santé très ancienne et riche élaborée par le moine Bodhidharma il y a environ 1500 ans ici au monastère shaolin. Le point essentiel de cette gymnastique est un accord harmonieux des lois naturelles Yin (négatives) et Yang (positives). Ainsi sont coordonnées par exemple, par l’exécution des différents exercices, l’esprit, la respiration et l’énergie, ce qui résulte en revanche en une amélioration de la circulation et renforce les fonctions des organes internes. En même temps, les articulations et les muscles sont détendus. Celui qui applique régulièrement ces exercices est sûr d’avoir la santé, la force et une longue vie.
Combattre et guérir

Ceinture Noire :
Est-ce que les religieuses s’entraînent aussi au kung-fu ?
Shi Yong Mei : Oui, certaines femmes s entraînent au kung-fu, puisque nous faisons toutes partie de la tradition Shaolin. En dehors de l’art de combat kung-fu, il y a aussi la médecine chinoise traditionnelle que l’on enseigne aussi. Ainsi, les religieuses apprennent ici d’un côté des massages de santé spéciaux, d’un autre côté l’emploi d’herbes les plus différentes de la médecine naturelle. Et tout ça garanti sans effets secondaires, puisque le fait de combattre et de guérir à une longue tradition, non seulement chez les moines mais également chez nous, les religieuses.

Au mot tradition, je demande à l’abbesse, Shi Yong Mei si nous pouvions les prendre en photo, elle et plusieurs autres religieuses. Elle fait aimablement un signe approbatif et une jeune fille apporte différentes armes de la partie privée du couvent. Shi Yong Mei et deux autres religieuses, dont les noms sont Shi Yan Wu et Shi Yan Fa, revêtent exprès leurs habits de fête et nous montrent plusieurs positions de kung-fu.

A ma surprise, Shi Yong Mei est spontanément d’accord quand je lui demande si elle n’a pas envie d’inviter des femmes européennes et de les enseigner.

Les adieux sont très chaleureux et pendant que nous descendons lentement « l’échelle du ciel “, les religieuses nous font encore longtemps des signes d’adieu. Que chacune d’entre elles trouve la félicité…

Le bouddhisme, les femmes et le kung-fu

On racontait longtemps que Bouddha et ses doctrines étaient misogynes, jusqu’à défendre pendant de longs siècles aux femmes d’entrer dans un monastère bouddhiste. Entre-temps il a été prouvé que les passages de textes sur lesquelles se fondent ces affirmations ne sont pas rédigées par Bouddha, mais qu’elles ont été introduites ultérieurement dans ses écritures. C’est pour cette raison qu’on ne trouve plus dans le bouddhisme d’aujourd’hui cette distinction sévère entre les hommes et les femmes, puisqu’il n’y a que l’attitude interne qui compte. Les religieuses de Shaolin ont donc une tradition comparable à celle des femmes dans les couvents occidentaux.

Le bouddhisme Chan pratiqué au monastère de Shaolin est fondé au 6 e siècle par le moine indien Bodhidharma. En simplifiant, on pourrait dire que le but du bouddhisme Chan consiste à combattre un regard superficiel et à se consacrer directement au sens et à l’esprit de la vie. Cela signifie que le perfectionnement caractéristique est mis au centre de l’intérêt, ce qui doit être atteint par la prière, la méditation, la médecine traditionnelle chinoise ou bien par l’entraînement de kung-fu, qui a finalement un but semblable.